Comment les herbicides évoluent-ils face aux résistances des plantes ?

L'agriculture moderne fait face à un défi de taille : l'évolution rapide des résistances des plantes aux pesticides. Cette adaptation naturelle des adventices menace l'efficacité des stratégies de désherbage traditionnelles, poussant les agriculteurs et les scientifiques à repenser leurs approches. L'industrie phytosanitaire, quant à elle, se voit contrainte d'innover constamment pour maintenir l'efficacité des traitements herbicides. Ainsi, l'association de molécules herbicides aux modes d'action complémentaires est une stratégie de plus en plus adoptée pour contrer les résistances. L'exemple le plus emblématique est l'association du Roundup Evolution (glyphosate) avec le dicamba, notamment dans les cultures de soja génétiquement modifiées pour tolérer ces deux herbicides. Cette course à l'innovation soulève des questions sur la durabilité des pratiques agricoles actuelles et l'avenir de la gestion des adventices.

Mécanismes de résistance des plantes aux herbicides

La résistance aux herbicides est un phénomène complexe qui résulte de l'adaptation génétique des plantes face à la pression de sélection exercée par l'utilisation répétée des mêmes substances actives. Cette évolution naturelle peut se manifester de diverses manières, chacune représentant un défi pour les agriculteurs et les fabricants d'herbicides.

L'un des mécanismes les plus courants est la modification du site d'action de l'herbicide au sein de la plante. Cette altération empêche la molécule active de se fixer efficacement, réduisant ainsi son impact létal. Par exemple, certaines populations d'amarantes ont développé des mutations qui modifient la structure de l'enzyme EPSPS, cible du glyphosate, rendant ce dernier moins efficace. Un autre mécanisme est l'augmentation de la capacité de détoxification de la plante. Dans ce cas, les adventices parviennent à métaboliser plus rapidement les molécules herbicides, les rendant inoffensives avant qu'elles n'atteignent leur cible. Ce phénomène est particulièrement observé chez les graminées résistantes aux inhibiteurs de l'ACCase. La réduction de l'absorption ou de la translocation de l'herbicide constitue également une stratégie de résistance efficace. Certaines plantes ont développé des cuticules plus épaisses ou des systèmes vasculaires modifiés qui limitent la pénétration et le mouvement des substances actives dans leurs tissus.

Il est nécessaire de comprendre que ces mécanismes de résistance peuvent se combiner au sein d'une même population, créant des super-mauvaises herbes particulièrement difficiles à contrôler. Cette évolution rapide des résistances nécessite une adaptation constante des stratégies de lutte contre les adventices.

Évolution des formulations chimiques des herbicides

Face à l'émergence et à la propagation des résistances, l'industrie phytosanitaire a dû repenser ses approches en matière de développement des pesticides.

Nouveaux modes d'action : l'exemple du tiafenacil

La découverte de nouvelles molécules avec des modes d'action inédits représente une avancée majeure dans la lutte contre les résistances. Le tiafenacil, par exemple, est un inhibiteur de la protoporphyrinogène oxidase (PPO) de nouvelle génération. Son mode d'action perturbe la biosynthèse de la chlorophylle, provoquant une destruction rapide des tissus végétaux par stress oxydatif. L'efficacité du tiafenacil contre les adventices résistantes aux herbicides traditionnels en fait un outil précieux pour les agriculteurs confrontés à des populations difficiles à contrôler. Sa faible persistance dans l'environnement répond également aux préoccupations croissantes concernant l'impact écologique des herbicides.

Inhibiteurs de l'HPPD : mésotrione et isoxaflutole

Les inhibiteurs de la 4-hydroxyphénylpyruvate dioxygénase (HPPD) représentent une classe d'herbicides relativement récente qui a gagné en importance face aux résistances. La mésotrione et l'isoxaflutole sont deux molécules phares de cette famille, offrant un contrôle efficace sur un large spectre d'adventices, y compris celles résistantes aux triazines et aux ALS. Ces molécules agissent en bloquant la biosynthèse des caroténoïdes, entraînant un blanchiment caractéristique des tissus végétaux suivi de la nécrose. Leur mode d'action distinct les rend particulièrement utiles dans les stratégies de rotation des herbicides visant à éviter l'apparition de nouvelles résistances.

Herbicides auxiniques de nouvelle génération : halauxifène-méthyl

Les herbicides auxiniques, bien que connus depuis longtemps, connaissent un renouveau avec le développement de molécules de nouvelle génération comme l'halauxifène-méthyl. Cette substance active appartient à la famille des arylpicolinates et apporte une meilleure efficacité contre certaines dicotylédones résistantes aux herbicides traditionnels. L'halauxifène-méthyl se distingue par sa capacité à contrôler efficacement des adventices problématiques comme le gaillet gratteron et la véronique à feuilles de lierre, tout en présentant un profil environnemental amélioré par rapport aux auxines classiques. Son utilisation s'inscrit dans une approche de gestion intégrée des adventices, combinant efficacité et durabilité.

Stratégies de rotation et association d'herbicides

La diversification des pratiques herbicides est devenue un pilier de la gestion durable des adventices. Les stratégies de rotation et d'association d'herbicides visent à réduire la pression de sélection exercée sur les populations d'adventices, limitant ainsi l'émergence et la propagation des résistances.

Principe de rotation des modes d'action

La rotation des modes d'action consiste à alterner l'utilisation d'herbicides appartenant à différentes familles chimiques au fil des saisons ou des années. Cette approche vise à exposer les populations d'adventices à des pressions de sélection variées, réduisant ainsi les chances de sélectionner des individus résistants à un certain mode d'action. Par exemple, dans une rotation maïs-soja, on pourrait utiliser un inhibiteur de l'HPPD comme la mésotrione sur le maïs, suivi d'un inhibiteur de la PPO comme le fomesafène sur le soja l'année suivante. Cette alternance permet de cibler les adventices avec des mécanismes d'action distincts, compliquant le développement de résistances multiples.

Associations synergiques : glyphosate et dicamba

La combinaison entre le glyphosate et le dicamba permet de cibler un large spectre d'adventices, y compris celles résistantes au glyphosate seul. Le dicamba, en tant qu'herbicide auxinique, apporte un mode d'action complémentaire qui perturbe la croissance des dicotylédones résistantes. Cependant, l'utilisation de cette association soulève des questions environnementales, notamment concernant la dérive du dicamba et son impact sur les cultures non-cibles.

Systèmes de culture Clearfield® et Enlist®

Les systèmes de culture intégrés comme Clearfield® et Enlist® combinent des variétés de cultures tolérantes à certains herbicides avec des programmes de traitement adaptés. Le système Clearfield®, par exemple, utilise des variétés de colza, de tournesol ou de riz tolérantes aux herbicides de la famille des imidazolinones. Cette tolérance permet l'application d'herbicides à large spectre en post-levée, apportant un contrôle efficace des adventices difficiles, y compris celles apparentées aux cultures. De même, le système Enlist® associe des variétés de maïs, de soja et de coton tolérantes au 2,4-D et au glyphosate.

Développement d'herbicides biologiques

Face aux défis posés par les résistances et aux préoccupations environnementales croissantes, le développement d'herbicides biologiques gagne en importance. Ces solutions alternatives visent à apporter des options de désherbage efficaces tout en minimisant l'impact sur l'environnement.

Biopesticides à base de microorganismes : Pseudomonas fluorescens

Les biopesticides à base de microorganismes représentent une piste prometteuse dans la lutte contre les adventices résistantes. Parmi eux, certaines souches de Pseudomonas fluorescens ont montré un potentiel herbicide intéressant. Ces bactéries produisent des métabolites secondaires capables d'inhiber la croissance des plantes cibles. L'avantage majeur de ces biopesticides se trouve dans leur spécificité d'action et leur faible persistance dans l'environnement.

Extraits végétaux allélopathiques : l'exemple du sorgho

L'allélopathie, phénomène par lequel une plante produit des composés biochimiques qui influencent la croissance et le développement d'autres plantes, offre des perspectives intéressantes pour le développement d'herbicides naturels. Le sorgho, par exemple, produit une substance appelée sorgoleone, reconnue pour ses propriétés herbicides. Des recherches sont en cours pour exploiter ces composés allélopathiques dans la formulation d'herbicides biologiques. Ces substances présentent l'avantage d'être biodégradables et de cibler certaines voies métaboliques, réduisant ainsi le risque de développement de résistances croisées avec les herbicides synthétiques.

Nouvelles approches : ARN interférent et édition génomique CRISPR

Les avancées en biotechnologie ouvrent la voie à des approches innovantes dans la lutte contre les adventices résistantes. L'utilisation de l'ARN interférent (ARNi) comme herbicide biologique est une piste étudiée par plusieurs équipes de recherche. Cette technique vise à interférer avec l'expression de gènes essentiels à la survie des plantes cibles. Par ailleurs, l'édition génomique CRISPR/Cas9 offre des perspectives fascinantes pour le développement de nouvelles stratégies de contrôle des adventices. Cette technologie pourrait permettre de modifier précisément les gènes impliqués dans la résistance aux herbicides ou de créer des cultures plus compétitives face aux adventices.

Adaptation des pratiques agronomiques

L'évolution des résistances des plantes aux herbicides pousse le secteur agricole à repenser ses méthodes. De nouvelles approches émergent pour gérer efficacement les adventices tout en préservant l'environnement. Ces innovations visent à réduire la dépendance aux produits chimiques et à promouvoir des pratiques plus durables. Ainsi, les agriculteurs adoptent des outils mécaniques perfectionnés pour lutter contre les mauvaises herbes. Des désherbeurs à caméras intelligentes détectent et éliminent précisément les adventices.

Enfin, l'implantation de cultures intermédiaires comme le trèfle ou la moutarde entre les rangs principaux gagne du terrain. Ces plantes de couverture étouffent naturellement les adventices en leur faisant concurrence pour les ressources.

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